Elle avançait en silence, ses pas légers sur le sol métallique de l’usine. Une griffe orange marquait sa peau, juste en dessous de son poignet droit. Elle ressemblait étrangement à un tatouage, fait d’une simple ligne orange d’environ cinq centimètres. Personne ne lui avait jamais expliqué ce que cela signifiait.
Elle appartenait à ce lieu, comme les fours incandescents et le trou sombre par lequel apparaissent les objets.
Ici, elle brûle les déchets. C’était ce qu’elle faisait. C’était tout ce qu’elle savait faire.
Elle passait ses journées à observer les détritus défiler devant elle : les plaques de métal brillantes, les plastiques noircis, les objets difformes et sans nom.
Ses mains agissaient mécaniquement. Attraper. Jeter. Voir la flamme les avaler. Parfois, rallumer le foyer.
Quand l’écran indiquait 21:00, les lumières passaient au rouge, c’était le moment d’aller dans sa boîte.
Sa boîte était une pièce minuscule, sans lumière naturelle, avec un lit dur et une couette trop petite.
Elle ne parlait pas. Personne ne lui avait appris.
Sa tête ne contenait que trop peu d’images : les flammes, les détritus, la fumée noire, le plateau repas. Elle n’avait jamais quitté son usine.
Ce soir-là, un bruit étrange interrompit le ronronnement habituel des machines. Elle leva la tête. Quelque chose était tombé de la cargaison qui lui était envoyée par le trou sombre.
Ce n’était pas du métal, encore moi du plastique. Cela bougeait.
Elle s’approcha lentement, ses yeux écarquillés fixant l’objet. C’était… petit, tordu, presque difforme. Une peau translucide laissait deviner des traits bleutés à l’intérieur. Et ses membres étaient déséquilibrés : des pattes plus longues que d’autre, une tête démesurée qui devait empêcher ce petit corps de se déplacer. Et les yeux… Deux globes troubles, vides ne laissant apparaitre aucune émotion. Pendant quelques instants, elle crut reconnaitre son propre regard, celui qu’elle voyait dans les déchets métalliques.
Un son rauque s’échappa de sa gorge, un gargouillis grotesque. Qu’était-ce ? Elle n’avait jamais vu une chose pareille. Ce n’était pas un déchet, ni un objet.
Elle tendit les mains. Ses doigts effleurèrent la peau chaude et huileuse de la créature. Elle était légère, presque fragile, comme si elle pouvait se briser à tout moment. Pourtant, quelque chose en elle la dérangeait profondément.
Elle la souleva et la porta jusqu’au four. Et sans hésitation, elle la lâcha. C’était sa tâche.
Au moment où elle ouvrit les mains, le nourrisson posa ses doigts sur sa marque.
Une vive douleur se fit ressentir dans le crâne de l’incinératrice. Ses yeux se fermèrent sur l’écran dont elle sus lire l’heure, sans savoir comment : vingts heures quarante-trois.
Elle tomba de tout son poids sur le dos, projetant l’enfant dans les flammes.
Le feu s’empara de l’être, qui disparut en silence. Pas de cri. Pas de lutte. Comme si cela aussi, c’était ce qu’il attendait.