Aller au contenu
  1. Fictions/
  2. Samira E/

Chapitre 5 - Jugement

1413 mots·7 mins· loading · loading · ·
Brouillon
Samira E - Cet article fait partie d'une série.
Partie 5: Cet article

La salle du tribunal était pleine. Le mur du fond arborait le blason de Novaya, un double engrenage entrelacé sous lequel la devise “Créant demain” figurait.

Maurice, assis parmi les jurés, sentait un poids inhabituel peser sur ses épaules. Il n’avait jamais eu d’intérêt pour les affaires judiciaires, mais son Ordre, celui des assermentés, l’avait désigné pour ce jugement.

Avec lui siégeaient Isabella Romano, représentante de l’Ordre religieux et de confession archéïste, comme une grande majorité des représentants de cet ordre. Marcus Drake éminent penseur du S.L.A.S.T était leur envoyé pour ce jugement. Enfin, Sofia Alvarez pour l’Ordre corporatif.

Deux employés de Futech figuraient en tant que jurés pour ce jugement. Ce n’était pas commun, mais chaque Ordre pouvait choisir son représentant comme il l’entendait.

L’accusée se tenait dans le box, menottée. Bela. Elle avait les traits fins, des yeux sombres où se reflétait une colère contenue. Pourtant, ce qui heurta Maurice, ce fut autre chose. Cette mâchoire, ces pommettes… Il l’avait cloné tant de fois qu’il en connaissait chaque millimètre. C’était Samira. Ou plutôt, c’était son corps. Un clone de plus, perdu dans la masse.

La voix du juge résonna dans l’enceinte du tribunal.

« Bela. Clone d’identifiant S-8314, servante du défunt Stefan Eisenfeld. Vous êtes accusée de l’avoir assassiné. Comment plaidez-vous ? »

« Non coupable. »

Un murmure parcourut la salle. Non coupable. Comme si ça changeait quelque chose.

Freya Jensen se leva. Une clone de Samira elle aussi. Sa griffe orange traversait son visage en une marque nette, indélébile. Sa posture était droite, assurée. Loin de l’humilité attendue d’un clone.

« Mesdames et messieurs les jurés, l’accusation voudrait vous faire croire qu’un clone est incapable de ressentir autre chose que la servitude. Que Bela n’est qu’un objet défectueux qui a osé sortir de son cadre. Mais regardez-la. »

Elle pointa un doigt vers Bela.

Maurice croisa les bras. Il connaissait ce ton, cette posture. Une machine bien rodée à défendre les rebuts de Novaya. Une cause perdue d’avance.

L’accusation se leva à son tour. Un homme en costume sobre, son regard ne cachait pas son mépris. « Bela, pourquoi avoir tué votre employeur ? »

Bela ouvrit la bouche, hésita. Elle n’eut pas besoin de se tourner vers Freya pour savoir que celle-ci l’encourageait à parler.

« Il me… maltraitait. »

L’homme en costume esquissa un sourire. « Vous étiez à son service, pourtant. »

« Il me maltraitait. »

« Et pourtant, vous êtes restée. Vous n’avez pas tenté de démissionner, ni de demander de l’aide. C’est après l’avoir tué que vous avez trouvé la parole ? »

Un silence pesant s’abattit sur la salle.

Bela serra les poings. « Avant cette nuit, je ne savais pas que je pouvais partir. »

« Parce que cet assassina vous a porté conseil ? » L’interrompit-il.

Un rire bref éclata dans l’audience avant d’être coupé par un coup de marteau du juge. Maurice soupira. Même ici, elle était incapable de comprendre. Elle n’avait pas les codes, pas l’instinct de survie. Elle aurait dû se taire, baisser la tête, obéir. Elle aurait dû se comporter comme ce qu’elle était : un clone.

L’accusation s’avança vers elle, la regardant comme on examine une erreur dans un système.

« Parlez-nous de ce soir-là. »

« Il est venu me voir, comme d’habitude. Il a voulu que… je le laisse faire. »

« Faire quoi, Bela ? Soyez précise. »

Un silence s’étira. Elle détourna le regard.

« Il me violait. »

L’avocat se retourna vers le jury avec un sourire condescendant.

« Et pourtant, vous ne vous êtes jamais plainte. Vous n’avez jamais dit un mot. Pourquoi maintenant ? »

Bela fronça les sourcils. « Avant cette nuit, je ne savais pas que ce n’était pas… normal. Que c’était mal. »

Un murmure s’éleva dans la salle. Maurice sentit une lassitude l’envahir. Évidemment. Comment un clone pouvait-il comprendre ce genre de nuance ? On ne leur apprenait pas ces choses-là. Ils étaient créés pour servir, pas pour ressentir.

Freya Jensen se leva, outrée. « Votre honneur, nous parlons d’un crime. Ma cliente a été exploitée, violentée, violée, et personne ici ne semble s’en soucier ! »

Le juge la fusilla du regard. « Maître, surveillez votre ton. Nous sommes ici pour juger un meurtre, pas pour débattre de la morale. »

Maurice décrocha lentement son regard de Bela. Les clones, en tant que produit de contre bande, n’était que marginalement admis dans la société. Ce procès était une mascarade, elle ne pouvait pas sortir vivant de ce crime.

Maurice n’avait pas l’intention d’aller contre le système. Il vit là une opportunité. Une porte de sortie.

Son regard glissa vers l’écran de son terminal personnel. Il tapa un message, court et précis, adressé à Sofia Alvarez.

“J’irai dans votre sens, et on discutera plus tard de ma condition.”

Peut-être qu’avec ça, il obtiendrait quelque chose. Un arrangement. Une liberté, même partielle.

Le verdict tomba trois heures plus tard. Coupable. Évidemment.

Bela ne pleura pas. Elle resta figée, comme si le poids du mot lui glissait dessus. Comme si sa peine de mort n’était pas une fin pour elle.

Cette image de Bela figea Maurice, quelque chose avait dû lui échapper.


Après ce verdict, Maurice pris le chemin du retour. Le bus tremblait sur les rails magnétiques de Novaya, il ne lâchait pas son écran des yeux. Il avait envoyé ce message il y a plus de trois heures et Sofia ne lui avait toujours pas répondu. Avait-il eu raison de prendre autant de risque, de s’exposer ? Sofia connaissait-elle les secrets de Futech ? En tant que membre du conseil d’administration, elle devait les connaitre…

« Monsieur Rivay, puis-je m’assoir ? »

Il referma son terminal d’un geste lent et haussa les épaules. « Allez-y madame Jensen. »

Le trajet se fit dans le silence. Il n’avait de toute façon rien à dire à l’avocate. Mais sentir la présence d’un clone de Samira le mettait mal à l’aise.

« On a une amie en commun, » finit-elle par dire en posant les yeux sur lui.

Rivay ne réagit pas tout de suite, mais il sentit son rythme cardiaque s’accélérer. Il se tourna vers elle, son visage impassible. « Ah oui ? Et qui ça ? »

Freya esquissa un sourire et pointa son doigt vers son propre visage. « Samira. »

Le cœur de Rivay manqua un battement. Il s’efforça de garder une expression neutre, mais elle ne lui laissa pas le temps de répondre.

« Je sais qu’elle est chez Futech. Et je sais que tu le sais. »

Il soutint son regard. « Beaucoup de rumeurs circulent sur Samira. Je me méfie des rumeurs. »

Freya se pencha légèrement vers lui, sans agressivité, mais avec une assurance glaciale. « Moi, je ne fonctionne pas sur des rumeurs. Je fonctionne sur des faits. Et le fait, c’est qu’elle est retenue contre son gré. »

Rivay sentit un frisson le traverser. Il savait que Freya n’était pas du genre à parler à la légère. Qu’elle mettait un point d’honneur à défendre chaque clone, chaque rebut de Novaya. Si elle venait à lui, c’est qu’elle avait déjà rassemblé des preuves. Ou qu’elle voulait le tester.

« Admettons, » dit-il prudemment. « Qu’est-ce que tu veux de moi ? »

Freya haussa légèrement un sourcil. « Ce que je veux, c’est simple. Tu vas m’aider à la sortir de là. »

Il eut un rire bref. « Tu veux que je trahisse Futech ? Pour toi ? »

Elle secoua lentement la tête. « Pas pour moi. Pour elle. »

Rivay la fixa un instant, puis détourna le regard vers la fenêtre. Son reflet lui renvoyait l’image d’un homme pris dans un engrenage trop grand pour lui.

« Et si je refuse ? » demanda-t-il d’une voix calme.

Freya sourit, et regarda le terminal que Maurice serrait de toutes ses forces dans sa main. « Alors, je ferai en sorte que ton petit arrangement avec Sofia Alvarez devienne un sujet d’intérêt public. »

Un silence tendu s’installa. Maurice inspira profondément, son esprit tournant à toute vitesse. Il avait sous-estimé Freya Jensen.

« Réfléchis bien, » murmura-t-elle en se redressant. « Parce que si tu veux vraiment être libre, la première chose à faire, c’est d’arrêter de jouer pour ceux qui te tiennent en laisse. »

Elle lui tapota l’épaule avant de se lever et de s’éloigner vers l’avant du train, le laissant seul avec son choix.

Samira E - Cet article fait partie d'une série.
Partie 5: Cet article